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  • SAS: Validité des décisions collectives prises à une minorité des votes exprimés

    Par application de l’article L. 227-9 du Code de commerce, les formes et conditions des décisions collectives sont prises conformément aux stipulations prévues par les statuts, posant ainsi le principe de la liberté statutaire.

    L’alinéa 1 précise que les statuts déterminent les décisions devant être prises collectivement par les associés dans les formes et conditions qu’ils prévoient.

    Ce principe est tempéré par certaines limites dans l’alinéa 2 de cet article concernant certaines décisions importantes devant relèver nécessairement d’une décision collective particulière : ce sont les décisions relatives à l’augmentation, l’amortissement et la réduction du capital ; les opérations de fusion, scission, apport partiel d’actif ; la dissolution ; la nomination des commissaires aux comptes ; l’approbation des comptes annuels et l’affectation des bénéfices et de transformation de la société.

    S’ajoutent à l’ensemble de ces décisions, celles devant être adoptées à l’unanimité des associés dès lors qu’elles entraînent une adoption ou une modification des clauses statutaires d’agrément ou d’exclusion, ainsi que celles statuant sur les conventions réglementées.

    Dans une affaire soumise à la cour d’appel de Paris, puis à la chambre commerciale de la cour de cassation et enfin sur renvoi à nouveau à la cour d’appel de Paris, cette dernière vient de rendre le 4 avril 2023 une décision intéressante concernant dans les SAS la validité des décisions collectives prises à une minorité des voix s’opposant à l’arrêt de principe rendu par la cour de cassation le 19 janvier 2022 dans cette même affaire.

    Sur renvoi, aux termes d’un arrêt du 4 avril 2023, la cour d’appel de Paris vient de décider en opposition avec la cour de cassation, que dans les SAS, les associés sont libres de définir dans les statuts une clause stipulant que « les décisions collectives des associés sont adoptées à la majorité du tiers des droits de vote des associés présents ou représentés, habilités à prendre part au vote considéré » permettant ainsi l’adoption de résolutions à une minorité des voix exprimées, s’opposant ainsi à l’arrêt rendu par la cour de cassation le 19 janvier 2022 rendu dans cette même affaire (Cass. com. 19 janvier 2022 n° 19-12696) et s’alignant avec la position du premier arrêt d’appel.

    En l’espèce, les associés d’une SAS sont amenés à délibérer sur une augmentation de capital et sur une suppression du droit préférentiel de souscription afin de réserver la souscription des actions nouvellement émises au président de la société.

    46 % des voix exprimées (atteignant ainsi le seuil du tiers des droits de vote présents ou représentés) votent en faveur de ces résolutions, contre 54 % qui votent contre, permettant leur adoption en application de la clause des statuts.

    Si la cour de cassation considère que les décisions collectives des associés doivent nécessairement être conditionnées à l’obtention d’une « majorité simple des votes exprimés », la cour d’appel de Paris sur renvoi les considère quant à elle comme régulières, dans la mesure où ce principe de liberté laissé aux associés d’une SAS de définir dans les statuts la règle d’adoption d’une résolution n’est pas contraire à la loi (i) et qu’il respecte les droits des associés et est conforme à l’intérêt social (ii).

    1.Concernant la conformité à la loi, la cour d’appel de Paris s’appuie sur l’article L 227-8 du code de commerce qui permet aux associés de SAS de déterminer les conditions dans lesquelles sont prises les décisions collectives.

    La cour d’appel, pour répondre à l’argument qui lui a été opposé par le demandeur au pourvoi suivant lequel les articles L 225-135 et L 225-129 du code de commerce appliquant les dispositions de la directive européenne 2017/1132 du 14 juin 2017 s’opposeraient au vote de la suppression du droit préférentiel de souscription qui ne serait pas décidé  à une majorité au moins égale à une majorité simple, soutient que cet article n’est opposable en France qu’aux société anonymes et non aux SAS (en se référant au fait que dans l’annexe 1 les dispositions concernées par la directive européenne ne  vise pour la France que la société anonyme et non les autres types de sociétés).

    2. Concernant le respect des droits des associés et la conformité à l’intérêt social, la cour d’appel de Paris considère qu’en l’espèce, tous les associés ont adopté la clause en question (en devenant associés, ils adhèrent aux clauses statutaires), aucun associé n’est exclu du processus de décisions et tous sont appelés à délibérer.

    Quant à l’intérêt social, elle soutient qu’il ne doit pas être confondu avec l’intérêt d’une majorité d’associés et que les conditions d’adoption des résolutions litigieuses n’impliquent un risque d’abus compromettant cet intérêt social, un tel abus pouvant émaner autant d’une majorité que d’une minorité d’associés.

    La cour observe en outre que « l’augmentation de capital avec suppression du droit préférentiel de souscription, permettant de réserver cette augmentation de capital à la société Financière de Rennes, décidée le 22 octobre 2015, était dans l’intérêt social de la société La Vierge puisqu’une procédure d’alerte avait été déclenchée par le commissaire aux comptes le 26 mai précédent, qu’elle se situait dans un contexte de différend aigu entre M. [L] [J] et M. [Y], associés ayant des responsabilités opérationnelles, depuis plus d’un an, ayant des effets sur l’exploitation des boulangeries, que seul un renforcement des fonds propres permettait d’envisager un redressement et qu’il ne ressort pas des pièces aux débats que les associés avaient l’intention de participer à une augmentation de capital et qu’ils étaient prêts à mobiliser des ressources à cette fin ».

    Dans son arrêt de principe du 19 janvier 2022, la Cour de cassation avait au contraire considéré dans cette même affaire que l’adoption des décisions collectives des associés était  nécessairement conditionnée à l’obtention d’une « majorité simple des votes exprimés » et qu’il n’était donc pas possible que certaines décisions puissent être prises selon une majorité inférieure à 50 % des voix présentes ou représentées ou des votes exprimés, cela au visa de l’article L.227-9, alinéa 2 du Code de commerce qui dispose que : « […] les attributions dévolues aux assemblées générales extraordinaires et ordinaires des sociétés anonymes, en matière d’augmentation, d’amortissement ou de réduction de capital, de fusion, de scission, de dissolution, de transformation en une société d’une autre forme, de nomination de commissaires aux comptes, de comptes annuels et de bénéfices sont, dans les conditions prévues par les statuts, exercées collectivement par les associés».

    La Cour de cassation justifie sa position en indiquant que si l’article L.227-9, alinéa 2 du Code de commerce « laisse une grande liberté aux associés pour déterminer, dans les statuts d’une [SAS], la majorité exigée pour adopter des résolutions dans les matières qu’il énumère », cette liberté « trouve sa limite dans la nécessité d’instituer une règle d’adoption des résolutions soumises à l’examen collectif des associés qui permette de départager ses partisans et ses adversaires ».

    Selon la cour de cassation, la censure de la condition de seuil reposerait sur le fait qu’il serait nécessaire d’instituer « une règle d’adoption qui permette de départager ses partisans et ses adversaires », considérant que la clause statutaire litigieuse ne permettrait pas ce départage puisque les partisans votant pour ou ceux votant contre peuvent simultanément remplir cette condition de seuil.

    Le seuil du tiers des droits de vote des associés ne pourrait être rempli simultanément par les partisans et les adversaires de la résolution puisque la clause litigieuse ne permet pas de condition de rejet de la résolution.

    Soumettre une résolution au vote, ce serait laisser le choix ou pas aux associés d’adopter ou de rejeter une résolution, ce qui suppose de décompter les voix favorables et celles défavorables, de les confronter et de les départager suivant une règle qui ne peut être remplie à la fois par les partisans et les adversaires.

    Or, selon la cour de cassation, la condition de seuil ne permettrait de prendre en considération que les voix émises en faveur de la résolution soumise au vote parce qu’elles excluent du décompte les voix des adversaires, sans comparaison entre les deux résultats.

    La condition de seuil reviendrait ainsi en fait à exclure en fait certains associés du droit de vote.

    La divergence entre la cour de cassation et la cour d’appel repose en fait, pour l’une sur la volonté que des résolutions puisse n’être adoptées que dans une forme de consensus ou à tout le moins de majorité et pour l’autre au respect de la liberté contractuelle dans les statuts dont les clauses ont été adoptées par tous les associés.

    Il appartiendra à un nouvel arrêt de trancher cette divergence de position.

    En attendant, la prudence s’impose …

    CA Paris 4 avril 2023 n° 21-18323

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