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  • Rupture de contrat : dispense de mise en demeure préalable si elle est « vaine »

    Par un arrêt surprenant, alors que l’article 1226 du code civil est clair sur la nécessité d’une mise en demeure préalable à la rupture de tout contrat, sauf en cas d’urgence, la Cour de cassation vient de décider qu’il suffit que l’envoi d’une mise en demeure soit vaine pour s’en passer.

    En l’espèce, une société a fait appel, durant plusieurs années, à une autre société pour une prestation de maintenance et un devis accepté en décembre 2016 a matérialisé l’accord des parties sur la chose et le prix.

    Toutefois, leurs relations se dégradent.

    Dans une lettre du 22 mars 2017, la société chargée de la prestation indique à la société cocontractante qu’elle n’entend plus poursuivre sa prestation en raison du comportement du dirigeant de cette dernière, et l’assigne en paiement de diverses factures.

    La société chargée de la prestation reproche au dirigeant son comportement à savoir : la mise en cause par ce dernier de la capacité de la société chargée de la prestation à faire et à suivre le chantier, les ordres directs donnés par ce dernier à l’un des salariés de la société prestataire sans en informer sa hiérarchie, de sorte que les relations avec le personnel de la société chargée d’assurer la prestation intervenant sur le chantier étaient devenues très tendues et conflictuelles.

    Les juges du fond condamnent la société débitrice au paiement des factures dues reprochant au dirigeant son « attitude inacceptable, qu’il s’agisse des propos tenus, ou du fait d’imposer des dates d’intervention non convenues », tout en reconnaissant que si « l’agacement de ce dirigeant de voir son outil professionnel hors de fonctionnement peut être compris, cette situation ne pouvait justifier » son attitude et estimant que « dans ce contexte d’extrême pression et de rupture relationnelle, (la société chargée de la prestation) n’était pas en mesure de poursuivre son intervention ».

    La société condamnée forme un pourvoi en cassation et reproche à la cour d’appel de Poitiers d’avoir retenu qu’elle et son dirigeant auraient commis des manquements suffisamment graves pour que sa cocontractante mette unilatéralement fin à sa prestation contractuelle, alors qu’aucune lettre de mise en demeure préalable de mettre un terme aux dits manquements ne lui avait été adressée et qu’en application de l’article 1226 du code civil, il est clairement prévu que si le créancier peut, à ses risques et périls résoudre le contrat par voie de notification celui-ci doit, sauf urgence, préalablement mettre en demeure le débiteur défaillant de satisfaire à son engagement dans un délai raisonnable.

    Contre toute attente, la Cour de cassation, au visa des articles 1224 et 1226 du Code civil, tels qu’ils résultent de la réforme du 10 février 2016, rejette le pourvoi et confirme l’arrêt rendu par la Cour d’appel de Poitiers estimant qu’« une telle mise en demeure n’a cependant pas à être délivrée lorsqu’il résulte des circonstances qu’elle est vaine ».

    On comprend de cette solution que c’est plutôt au visa de l’article 1224 du code civil que la cour de cassation a fondé sa décision se fondant sur un manquement « suffisamment grave » dans l’inexécution de ses obligations du cocontractant bénéficiaire de la prestation de service, pour faire fi d’une mise en demeure préalable.

    L’article 1224 du code civil prévoit en effet que « La résolution résulte soit de l’application d’une clause résolutoire soit, en cas d’inexécution suffisamment grave, d’une notification du créancier au débiteur ou d’une décision de justice. »

    Toutefois, il y a lieu de noter en l’espèce que c’est « le comportement » du cocontractant bénéficiaire de la prestation de service d’une extrême gravité qui a motivé la décision des juges et non l’inexécution de ses obligations contrairement à ce qui est prévu à l’article 1224 du code civil !

    La Cour de cassation semble avoir fait une exégèse osée des textes en vigueur, pourtant clairs, rendant incertaines les solutions des litiges par les tribunaux, et s’octroyant un rôle supplétif à celui du législateur.

    Cass. com 18 octobre 2023 n° 20-21.579

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