Le devoir d’information et de mise en garde de la caution constitue un contentieux majeur en droit du crédit. Il met à la charge du prêteur, généralement une banque, une obligation d’information et de mise en garde à l’égard de la caution.
Mais quelle est la portée de ces obligations d’information et de mise en garde mises à la charge du prêteur, et envers quel type de caution sont-elles dues ?
I. La caractère averti de la caution
La distinction entre la caution « avertie » et la caution « non avertie » présente un intérêt tout particulier au regard de l’obligation d’information et de mise en garde qui lui est due : la caution « non avertie » peut prétendre bénéficier d’un devoir de mise en garde en raison du risque encouru du fait de la garantie des engagements d’un tiers, alors que la caution « avertie » ne peut y prétendre.
Comment, alors, distinguer la caution « avertie » de la caution « non avertie » ?
La Cour de cassation a donné des exemples de caution avertie : c’est la caution dirigeante, dans le cas où elle présente une véritable compétence professionnelle ainsi que des compétences financières de base (Cass. Com., 14 octobre 2014), la caution « professionnel du droit » (Civ. 1ère, 13 novembre 2008), ou encore la caution qui est manifestement compétente en matière de diagnostic d’entreprise, de stratégie et de gestion (Cass. Com., 8 juin 2010).
A contrario, la caution « non avertie » est celle qui n’appartient pas à l’une de ces catégories ; la caution simplement associée de la société débitrice cautionnée, par exemple (Cass. Com., 3 février 2009).
Toutefois, pour pouvoir prétendre bénéficier de ce devoir de mise en garde, encore faut-il démontrer que l’engagement de caution présentait, pour le garant, un risque particulier, à raison du montage financier et des perspectives d’avenir du débiteur principal (Cass. Com., 17 novembre 2009).
II. L’obligation de mise en garde
Selon les articles L. 341-2 et L. 341-3 du Code de la consommation, toute personne physique caution d’un créancier professionnel doit apposer une mention manuscrite sur l’acte de cautionnement impérativement au-dessus de sa signature.
Cette mention a un but pédagogique, c’est-à-dire qu’en obligeant la caution à écrire à la main cette mention, elle démontre que celle-ci a pris conscience de l’étendue de son engagement.
En revanche, elle ne présuppose pas la prise de conscience du danger engendré, le cas échéant, par l’opération garantie.
En effet, l’obligation de mise en garde porte sur la situation du débiteur cautionné, et n’est due que dans le cas où le risque de crédit est clairement avéré, ce qui distingue cette obligation de celle due à la caution à raison de ses capacités financières et des risques d’endettement auxquels elle s’exposerait par suite du cautionnement du crédit fait à l’emprunteur.
L’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation le 3 juin 2015 illustre parfaitement cette distinction : alors même qu’une caution a évalué son risque juridique et financier potentiel, il ne peut en être déduit qu’elle a compris que ce risque est fort ou quasi-inévitable en raison de la situation économique du débiteur ou de la volatilité du marché sur lequel ce dernier évolue.
La Cour de cassation est claire : l’apposition de la mention manuscrite doit être envisagée indépendamment de l’exécution par le créancier professionnel de l’obligation de mise en garde à l’égard d’une caution « non avertie ».
III. L’opposabilité des exceptions
Selon l’article 2313 du Code civil, « la caution peut opposer au créancier toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette, mais elle ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur. »
Dès lors, l’exception concernant l’absence de mise en garde du débiteur principal, par le créancier, sur le risque de crédit encouru par ce dernier est-elle une exception inhérente à la dette ou une exception purement personnelle au débiteur ?
En d’autres termes, la caution peut-elle opposer au créancier l’exception relative à l’absence de mise en garde du débiteur principal sur le risque de crédit encouru par ce dernier ?
Selon la Haute Cour, la nullité relative tirée du dol affectant le consentement du débiteur principal, et destinée à protéger ce dernier, est une exception purement personnelle au débiteur dont la caution ne peut se prévaloir (Cass. mixte, 8 juin 2007, n°03-15.602).
Ainsi, par analogie, la réponse semble être négative : l’exception relative à l’absence de mise en garde du débiteur principal serait une exception purement personnelle au débiteur dont la caution ne pourrait se prévaloir.
Néanmoins, la caution pourrait se prévaloir d’une résistance dolosive du prêteur à son égard, quant à la situation financière du débiteur principal, en vertu de l’obligation selon laquelle le créancier doit contracter de bonne foi avec la caution.
Le créancier s’expose alors, par cette voie d’action différente, à la possibilité de voir le cautionnement annulé pour réticence dolosive, ou à des dommages-intérêts pour faute délictuelle ou contractuelle en cas de défaut de mise en garde sur le caractère anormalement risqué de la dette cautionnée.
Pour autant, il convient de préciser qu’il n’est pas interdit, pour une caution correctement informée, de se porter caution d’un débiteur dont l’insolvabilité est avérée (Cass. Com., 10 octobre 1995).
IV. L’évaluation de la proportionnalité de l’engagement par le créancier professionnel
Selon l’article L. 341-4 du Code de la consommation, le créancier professionnel doit se renseigner sur la situation financière de la caution, personne physique, avant de lui faire souscrire un cautionnement, afin de s’assurer que l’engagement auquel il souhaite souscrire est bien proportionné à la valeur de ses biens et de ses revenus.
Sur ce point, on a pu observer une divergence de points de vue entre les différentes chambres de la Cour de cassation quant à l’appréciation de la proportionnalité de l’engagement.
La chambre commerciale de la Cour de cassation estime, dans le cas où l’associé d’une société s’est porté caution des engagements de sa société, que l’appréciation de la proportionnalité du montant de l’engagement par rapport au patrimoine de la caution ne peut être effectuée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie (Cass. Com., 27 janvier 2015).
La première chambre civile de la Cour de cassation, quant à elle, estime que pour être objective, l’appréciation de la disproportion doit prendre en compte, non seulement la valeur des biens et des revenus de la caution associée, mais également et surtout le montant de l’investissement que l’associé, ou encore le chef d’entreprise a effectué, ainsi que les perspectives financières futures de l’activité, sur lesquelles celui-ci peut se fonder pour valoriser ses apports et par conséquent accroitre son patrimoine (Civ. 1ère, 4 mai 2012).
Par un arrêt tout récent rendu le 3 juin 2015, la première chambre civile de la Cour de cassation met fin à la divergence existant entre elle et la chambre commerciale concernant les éléments à prendre en compte dans l’appréciation de la disproportion en matière de cautionnement.
En l’espèce, une banque consent à une SCI un prêt, dont le remboursement est cautionné par plusieurs personnes physiques.
L’une d’elle, assignée en paiement par la banque, invoque la disproportion de son engagement au regard de ses revenus et biens, en produisant essentiellement son avis d’imposition.
Pour la Cour d’appel, cet avis d’imposition n’est pas assez significatif, dès lors qu’il ne prend pas en compte les revenus escomptés de l’opération garantie.
La première chambre civile de la Cour de cassation n’est pas de cet avis : « la proportionnalité de l’engagement de la caution ne peut être appréciée au regard des revenus escomptés de l’opération garantie ».
En se ralliant à la position de la chambre commerciale, la première chambre civile permet d’homogénéiser la jurisprudence quant aux éléments à prendre en compte afin d’apprécier la proportionnalité de l’engagement de la caution au regard de son patrimoine.
Désormais, les revenus potentiels, espérés ou même prévisibles de l’opération garantie sont exclus dans cette prise en compte.
Adriana Chiche